Quel modèle pour la presse en ligne ?

Le 10 juillet 2019

Par : Helder Fonseca

4 minutes

Edito

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Quel modèle pour la presse en ligne ?

Le 25 mars 2010, Numerama – entre autres – évoquait la conversion du site du Monde vers le modèle payant en ces termes : « Le journal met fin de cette manière au « rêve de la gratuité » de l’information sur Internet, mais creuse peut-être aussi sa propre tombe par une erreur de stratégie à long terme ». S’il est bien évidemment facile de juger a posteriori une prévision hasardeuse, il convient de s’interroger, une décennie plus tard, sur la viabilité économique de la presse en ligne et sur son modèle de visibilité.

Le modèle payant de la presse française d’information

Dix ans après, force est de reconnaître que le choix du Monde était le bon. Le quotidien de référence en France compte aujourd’hui plus de 200 000 abonnés numériques et ce chiffre connaît une croissance annuelle de 30 %. Suivant la même tendance, L’Équipe compte également 200 000 abonnés et Le Figaro 120 000, pour une croissance annuelle de 40 %. Ces trois titres de presse ont choisi une stratégie freemium : certains contenus sont accessibles gratuitement, tandis que d’autres articles nécessitent un abonnement pour pouvoir être consultés. Bien évidemment, les contenus payants proposent une information exclusive et plus riche, afin de pouvoir justifier le coût pour le visiteur/internaute. C’est la qualité des articles qui est au centre de la stratégie d’abonnement. En amont, avec les contenus gratuits qui doivent donner envie aux lecteurs de rester sur le site du journal ; puis il convient ensuite de les fidéliser en leur proposant un choix éditorial varié et de qualité.

Le but de cette stratégie est de retrouver une certaine indépendance vis-à-vis des recettes publicitaires, qui constituent la principale source de revenus pour ces titres. Et ces recettes peuvent fluctuer d’une période à l’autre, selon la visibilité des contenus dans Google, Facebook ou Twitter. Cette dépendance en termes d’audience aux grands acteurs du Web peut être problématique sur le long terme, et c’est pourquoi les principaux titres de presse souhaitent garder une autonomie propre dans ce domaine. Attirer et conserver ses abonnés, c’est l’assurance de ne pas être trop soumis au bon vouloir des GAFA.

Le modèle gagnant du New York Times

Cette stratégie a produit des résultats de haute volée pour le New York Times. Le journal américain – véritable modèle de développement éditorial pour la presse en ligne – compte environ 3,3 millions d’abonnés en ligne. En élargissant aux éditions imprimées, ce chiffre atteint pratiquement 4,5 millions. Grâce à cette fidélisation de ses lecteurs, les abonnements et la vente au numéro représentent désormais 63 % du chiffre d’affaires du groupe, contre 30 % seulement pour la publicité, qui pesait encore plus de 50 % des revenus en 2011. Il est intéressant de constater que le fait de limiter à 5 le nombre d’articles gratuits consultables par mois avait permis d’augmenter le nombre d’abonnements. Un autre élément à noter est la diversification éditoriale, avec notamment le lancement d’un podcast quotidien, « The Daily » et la segmentation des abonnements. En 2018, la rédaction comprend au total 1 600 journalistes.


Bien évidemment, étant donné l’institution que représente le New York Times, il serait facile de penser que la renommée du titre a suffi à la réussite de cette transition. Néanmoins, que ce soit dans la conception de son édition numérique (clarté et simplicité de sa mise en page, contenus multimédias, soin des infographies) ou dans le rendu de l’investigation et de l’écriture, le NYT a toujours eu le souci de fournir une information de qualité (c’est-à-dire fiable, pertinente, vérifiée et intelligible) et s’est donné les moyens de respecter ce sacerdoce journalistique. L’exigence rédactionnelle et technologique doit être la même dans ces deux domaines.

Le modèle gratuit du Guardian

L’évolution du journal anglais fondé en 1821 est, elle, assez atypique dans le monde de la presse en ligne, puisque tous les articles de son site Internet sont accessibles gratuitement. Ce qui fait du Guardian l’un des sites les plus lus au monde (derrière le New York Times) avec 150 millions de visiteurs uniques par mois, qui proviennent de tout le globe.

Mais la transition d’un modèle économique basé sur le papier vers celui centré sur le numérique a été délicate et semée d’embûches. Ainsi, en 2016, le Guardian et son édition dominicale, The Observer, accusaient une perte de 57 millions de livres. Trois ans plus tard, le titre parvenait à dégager un profit de 800 000 livres. Le tout en conservant son modèle gratuit.

Le choix qu’a fait le Guardian est d’adopter une stratégie basée sur la donation des lecteurs. À la fin de chaque article, un appel au don apparaît, demandant au lecteur un apport financier, afin de soutenir un journalisme d’investigation. Ce pari audacieux est basé sur la confiance réciproque entre le public et le journal. Le Guardian respecte son audience en fournissant des articles de qualité et riches en information tandis que le public soutient cette démarche en donnant son argent au journal, en sachant que ce financement permettra une information intègre et déontologique.

Là encore, ce sont l’investigation, le souci de l’écriture juste, la fiabilité et l’exactitude des faits relatés qui ont permis au journal de faire ce pari du gratuit. Une certaine partie des lecteurs est prête à donner une contribution financière – sans aucune obligation que ce soit – s’ils estiment que cette participation permet d’obtenir sur la durée une information respectueuse de la Charte de Munich, signée en 1971, et qui souligne les devoirs suivants du journaliste :

  • Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité.
  • Défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique.
  • Publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents.
  • Ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents.
  • S’obliger à respecter la vie privée des personnes.
  • Rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte.
  • Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement.
  • S’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information.
  • Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs.
  • Refuser toute pression et n’accepter de directives rédactionnelles que des responsables de la rédaction.

Il est en définitive assez savoureux de constater que la même année où Le Monde, le New York Times, le Guardian, mais également d’autres titres comme Mediapart notamment, affichent des résultats prometteurs basés sur l’abonnement et le soutien financier des lecteurs, des pure players comme Buzzfeed par exemple ont dû réduire leurs effectifs de 15 %, après avoir constaté que la production de contenus low-cost, entretenant le flou entre l’éditorial et la publicité, n’était pas suffisante…

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