Comment un mot arrive-t-il dans le dictionnaire ?

Le 12 septembre 2022

Par : Camille Guyot

5 minutes

Edito

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Comment un mot arrive-t-il dans le dictionnaire ?

« Téléconsultation », « coffee shop », « mythonner », « blob » ou encore « truffade », pour la plus grande fierté des représentants de l’Auvergne chez WAM, sont tous des mots ayant fait leur apparition dans le dictionnaire en 2022. Vous êtes-vous déjà demandé comment et par qui ils sont choisis ? Bonne nouvelle : nous avons fait les recherches pour vous. 

Entrée d’un mot dans le dictionnaire : un processus long et complexe

Avant d’être nouvellement intégré dans le dictionnaire, un mot – que l’on appellera alors néologisme – doit passer entre les mains d’un spécialiste de la langue, le lexicographe. 

Qu’est-ce qu’un néologisme ?

Un mot faisant son entrée dans le dictionnaire est ce qu’on appelle un néologisme. Composé du grec neo, « nouveau », et logos, « mot, parole, discours », un néologisme vient étoffer le lexique d’une langue. Il existe deux types de néologismes :

  • ceux qui sont créés spontanément, la plupart du temps oralement avant d’être utilisés à l’écrit ;
  • ceux qui sont construits par les commissions de spécialistes

Mais un néologisme ne désigne pas seulement la création d’un nouveau mot. En effet, on appelle également néologismes les sens nouveaux donnés à des mots déjà existants. Les emprunts à des langues étrangères sont également considérés comme des néologismes. 

Mais alors, comment un nouveau mot, un sens nouveau ou encore un emprunt à une autre langue font-ils leur entrée dans le dictionnaire ? Ce travail revient en grande partie au lexicographe

définition du néologisme

Le métier de lexicographe

Le lexicographe est l’un des différents spécialistes participant à l’élaboration d’un dictionnaire. Le cœur de son métier consiste à choisir les nouveaux mots qui entreront dans le dictionnaire. Pour cela, il fait l’inventaire des différentes unités lexicales de la langue dans laquelle sera rédigé le dictionnaire. Ensuite, il définit leurs différentes formes et significations. 

Le processus d’entrée d’un mot dans le dictionnaire est long et délicat. Une fois les mots sélectionnés par le lexicographe, il peut établir la nomenclature du dictionnaire, c’est-à-dire la liste des entrées du dictionnaire, généralement présentées par ordre alphabétique. Vient alors le moment de rédiger leur définition : pour cela, il doit cerner la/les signification(s) du mot, les classer de façon hiérarchique, les illustrer par des exemples, les situer dans le temps et l’espace, déterminer leur usage et leur registre et enfin faire d’éventuelles remarques ou annotations. 

Quels sont les critères de sélection d’un néologisme ?

Les néologismes ne sont pas choisis au hasard. Une langue évolue et s’enrichit constamment, c’est pourquoi face à la multitude de nouveaux mots apparaissant chaque année, les spécialistes doivent définir certains critères pour sélectionner les néologismes. 

Quelles questions se poser ?

Avant de choisir les heureux élus qui feront leur entrée dans le dictionnaire, le lexicographe doit se poser un certain nombre de questions. Dans son ouvrage Profession lexicographe, Marie-Éva de Villers, linguiste et lexicographe, définit les questions suivantes :

  • Quel est l’axe temporel du néologisme ? Si le mot est trop ancien et donc oublié par la plupart des usagers, ou au contraire trop récent pour être connu et employé par tous, alors il ne sera pas sélectionné par le spécialiste. 
  • Quel est son axe spatial ? Dans le cas d’usagers francophones, peut-être n’emploient-ils pas tous le néologisme en fonction de leur lieu de vie. Est-il employé par tous les francophones ? Par ceux vivant en Belgique ou au Québec, par exemple ? Ou encore par une communauté francophone particulière ?
  • Quel est le degré de spécialisation du mot ? Certains mots trop techniques ou spécialisés n’auront peut-être pas leur place dans un dictionnaire faisant état de l’usage courant. 
  • Grâce aux préfixes, aux suffixes et à la composition des mots, ces derniers existent en de nombreuses déclinaisons… Oui, mais voilà, doit-on absolument toutes les intégrer au dictionnaire ? Encore une question à se poser pour le lexicographe. 
  • Un certain nombre de néologismes proviennent du langage familier, de l’argot ou même du verlan. Doit-on les inclure dans le dictionnaire ? Et que faire des mots considérés comme vulgaires ?
  • La langue française est peuplée d’anglicismes et, plus généralement, d’emprunts à des langues étrangères. Doit-on les intégrer dans le dictionnaire, et si oui, lesquels ? Nous reviendrons plus en détail sur les anglicismes à la fin de cette partie.
  • Ces dernières années, les lexicographes sont confrontés au débat tumultueux de l’écriture inclusive. Ces termes émergents, ayant pour objectif d’éviter les stéréotypes de genre dans la langue française, ont-ils leur place dans le dictionnaire ? 

Néologisme : les critères de sélection

Pour avoir leur place dans le dictionnaire, les mots doivent remplir quelques conditions. Les critères de sélection observés par les lexicographes afin de faire leur choix varient légèrement d’un dictionnaire à un autre, c’est pourquoi nous les avons synthétisés en trois points.

  1. Un critère quantitatif, de fréquence d’usage du mot. Cela va de soi, pour entrer dans le dictionnaire, un néologisme doit être utilisé très fréquemment, au point d’être quasiment entré dans le langage courant. Pour mesurer cela, les spécialistes de la langue réalisent des analyses statistiques à l’intérieur de corpus de textes. Les mots en question doivent être utilisés des milliers de fois pour pouvoir être intégrés dans le dictionnaire.  
  2. Un critère qualitatif, de diffusion du mot. Celui-ci doit se retrouver dans des discours variés et concerner toutes les sphères de la société. Il faut ainsi étudier sa diffusion dans des types de textes différents : littérature, presse, articles universitaires, réseaux sociaux, etc. 
  3. Un critère temporel, de pérennité du mot. La langue est en perpétuelle évolution, de nouveaux mots apparaissent très régulièrement et ont parfois simplement une existence éphémère. Avant d’intégrer un néologisme au dictionnaire, le lexicographe doit laisser passer du temps et prendre du recul afin de pouvoir déterminer si un nouveau mot est viable ou non. 
les critères des néologismes

Comment sélectionner un anglicisme ?

On vous disait que le processus de sélection des néologismes est particulièrement long et complexe. Et il est encore différent lorsqu’il s’agit de déterminer l’entrée ou non d’un anglicisme – ou d’un emprunt à une autre langue étrangère – dans le dictionnaire.

En effet, en plus d’observer sa fréquence d’utilisation et sa diffusion dans la langue française, le lexicographe doit notamment évaluer sa réelle utilité par rapport aux mots français déjà existants, ou encore son adaptation au système phonétique du français. Encore un chemin bien compliqué à parcourir pour nos néologismes…

Les principaux dictionnaires de la langue française et leurs caractéristiques

Comme mentionné précédemment, chaque dictionnaire possède sa façon bien particulière de sélectionner un néologisme. Intéressons-nous aux caractéristiques du Larousse et du Robert, principaux dictionnaires de la langue française.

À chaque dictionnaire ses spécificités

Tout d’abord, il faut bien comprendre que chaque dictionnaire possède des spécificités bien particulières, une ligne éditoriale différente. Elles auront forcément une influence sur l’intégration de nouveaux mots dans les ouvrages.

Par exemple, la taille du dictionnaire, son format (papier ou électronique), la taille de sa nomenclature, le public visé (grand public, dictionnaire spécialisé), son orientation (descriptive ou prescriptive), les différents registres de langue et  l’ancienneté des mots qu’il intègre, font partie des éléments qui peuvent impacter l’entrée d’un mot dans chaque ouvrage. 

Le Larousse

L’évolution de la langue française est au cœur de la ligne éditoriale du Larousse. Son objectif est de refléter au mieux la société française à un moment donné. Pour cela, ce sont les mots les plus utilisés par les francophones qui figurent dans l’ouvrage. 


Le processus de sélection des néologismes est long et pointilleux. Parmi les quelque 3 000 à 5 000 nouveaux mots repérés chaque année par les lexicographes, seulement 150 en moyenne sont intégrés dans le Larousse. Ceux-ci sont sélectionnés après plusieurs sessions d’élimination, effectuées trois à quatre fois dans l’année.

Le Petit Robert

La ligne éditoriale du Petit Robert se rapproche de celle du Larousse. Il s’agit là-aussi de donner aux lecteurs une perception de la langue française telle qu’elle est employée aujourd’hui, en rendant compte de son évolution. Mais également de conserver une trace de tous les mots – ou du moins, la plupart – qui ont fait partie de la langue française. 

Les néologismes sont repérés par le Petit Robert grâce à des outils informatiques analysant des corpus de textes, grâce aux requêtes des utilisateurs du dictionnaire n’ayant pas obtenu de réponse, ou encore directement par les lexicographes dans leurs lectures ou leurs conversations courantes. Des comités éditoriaux sont ensuite organisés pour procéder à l’analyse et la sélection de ces nouveaux mots.

Le métier de lexicographe

On vous parlait précédemment de la question de l’écriture inclusive. En septembre 2021, le Petit Robert annonçait l’entrée du pronom « iel » dans son dictionnaire en ligne. Un choix qui a fait débat, mais qui représente bien la volonté des équipes de l’ouvrage d’offrir un observatoire de la langue française telle qu’elle est usitée aujourd’hui. 

Les mots nouveaux du dictionnaire