Pourquoi l’information est-elle la même partout ?

Le 25 mai 2022

Par : Charlotte Béraud

5 minutes

Edito

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Pourquoi l’information est-elle la même partout ?

Avez-vous remarqué que, sur Internet, les contenus sont souvent similaires ? Pourquoi l’information devient-elle la même partout ? Sources identiques et logiques commerciales sont à l’origine de ce phénomène. L’agence WAM vous explique.

Des sources identiques

La première raison à la diffusion d’informations similaires est inhérente aux sources mobilisées. Les dépêches d’agences et les communiqués de presse se trouvent, en effet, exploités par les mêmes acteurs. Et, dès publication sur Internet, elles se répandent à l’identique.

L’hégémonie des agences de presse

Les agences de presse, comme l’Agence France Presse (AFP) ou Reuters, constituent une source d’information importante pour les médias. Leur fonctionnement est simple : elles embauchent des journalistes professionnels, nommés « journalistes d’agence », qui s’occupent de rédiger des « dépêches » sur des événements importants. Les différents médias ou organes de presse reçoivent ensuite ces dépêches par le biais d’un abonnement payant.

Mais… Qu’est-ce qu’une dépêche ? Une dépêche, comme son nom l’indique, relève d’une information urgente et est rédigée de la manière la plus optimale possible. Ceci, pour que les journalistes qui la reçoivent puissent l’exploiter rapidement. 

Concrètement, une dépêche comprend :

  • la date, l’heure des faits et un ordre de priorité (de 1 à 4) indiquant l’importance de l’information ;
  • un slug, à savoir des mots-clés relatifs à la nature de l’information ;
  • un lead, qui résume les faits en quelques mots ;
  • un sublead, qui détaille succinctement le déroulé des événements ;
  • un background, qui rappelle les faits antérieurs.

Au sein des rédactions abonnées aux agences, certains journalistes prennent connaissance de ces dépêches et les exploitent pour rédiger leurs propres articles. L’information reçue peut alors faire l’objet de recherches plus approfondies, voire  susciter un déplacement sur le terrain. 

L’agence de presse a toujours été une source, sinon, LA source privilégiée des médias. Or, malgré la survenue de nouveaux acteurs sur Internet, les médias identifiés comme tels conservent leur réputation de diffuseurs sérieux et fiables. Par conséquent, lorsque plusieurs d’entre eux publient une information basée sur une même dépêche d’agence, son contenu est repris partout sur Internet. Parfois tel quel, laissant se multiplier les publications presque identiques.

Toutefois, depuis une dizaine d’années, certains médias font le choix de rompre le coûteux abonnement qui les lie aux agences de presse. Puisque l’information est accessible partout en ligne et que les sources se diversifient grâce aux réseaux sociaux, de plus en plus de personnes n’y trouvent plus d’intérêt. Cependant, cette mouvance reste encore minoritaire et l’agence de presse représente toujours, pour l’heure, une source incontournable.

La reprise de communiqués de presse

Autre source mobilisée par les médias, les communiqués de presse expliquent la similitude des articles publiés. On peut définir le communiqué de presse ainsi : il s’agit d’un texte, qui délivre un message et une information uniques à une sélection de rédactions, ciblées en fonction de la nature de l’information.

L’objectif : être repris le plus largement possible par les médias. Lesquels évoqueront le même sujet et les mêmes verbatims avec, pour source, le même communiqué de presse. Comme dans le cas des dépêches, ces reprises d’informations ont surtout lieu sur le web, règne de l’immédiateté, où chaque rédaction est prompte à réagir dès qu’une information importante est reçue par les rédactions.


D’un point de vue rédactionnel, le premier réflexe à la réception d’un communiqué de presse est de publier l’information, de la partager sur les réseaux sociaux et de la rendre indexable pour les moteurs de recherche. Le but ? Figurer parmi les premiers, pour attirer un maximum d’audience. Tant pis pour l’originalité du contenu. Souvent, une mention en fin d’article indique que « plus d’informations sont à venir » et le communiqué de presse est cité comme source de l’article.

Des logiques commerciales prépondérantes

Sur Internet, les diffuseurs se doivent de produire beaucoup de contenus rapidement pour susciter le clic avant leurs concurrents. Ils sont soumis aux tendances de recherches, soit les sujets qui intéressent le plus les internautes. Tous ces éléments composent une logique commerciale, qui impose une normalisation de l’information.

Produire beaucoup et rapidement

Dans les médias, le prestige est affaire de « scoop ». Mais savez-vous ce qui caractérise réellement un scoop ? Eh bien, sans porter atteinte au travail d’investigation de nombreux journalistes, la valeur d’un scoop n’est pas tant liée à la teneur de l’information en elle-même, qu’à son exclusivité. Dans une logique concurrentielle, le premier média à dévoiler l’information au public récolte forcément davantage d’attention que ses concurrents. Il devient donc vital de produire vite, avant que les autres ne le fassent.

Composante intrinsèque de l’économie des médias, cette course à l’information s’est accélérée avec Internet et les réseaux sociaux, où les données circulent toujours plus vite et en grande quantité. Pour tenir la cadence, les médias ont donc de plus en plus recours au bâtonnage. 

En journalisme, le bâtonnage consiste à reprendre une dépêche d’agence ou un communiqué de presse et à n’y apporter que peu ou pas de valeur ajoutée. Or, comme les médias disposent de la même source et la re-publient sans y apporter de modifications, l’information devient la même partout.

Dans le contexte actuel, la logique commerciale des médias, fondée sur des impératifs de temps, se voit décuplée. Le bâtonnage apparaît alors comme une solution facile. Il permet, en effet, de produire beaucoup en très peu de temps. De plus, la dépêche et le communiqué de presse sont construits de manière à ce que le lecteur puisse prendre connaissance de l’information rapidement – idéal pour les Internautes pressés, lisant les nouvelles sur leur smartphone entre deux arrêts de métro. 

On pourrait penser que la pratique n’est pas si mauvaise, puisque diffuseurs et lecteurs y trouvent leur compte. Malheureusement, le bâtonnage appauvrit aussi sensiblement l’information, que peu de journalistes ont désormais le temps d’approfondir. C’est en partie pour cette raison que les sites d’actualités tendent à développer de nouveaux modèles économiques, basés sur d’autres sources de revenus que l’affichage de publicités – comme les publications sponsorisées ou les formules abonnés. Ils s’offrent ainsi une plus grande liberté éditoriale.

Par ailleurs, l’appauvrissement des contenus a des conséquences sur le référencement Google. En effet, le « duplicate » est de plus en plus pénalisé par l’algorithme, qui évolue pour prendre davantage en compte la qualité rédactionnelle. Les copier-coller systématiques d’une même source disparaissent donc peu à peu – et tant mieux !

Tendances de recherches : l’influence de Google

Levier de visibilité, notamment pour la presse, Google offre plusieurs opportunités commerciales aux médias sur Internet. Les News Box générées par Google Actus ont longtemps été la fenêtre privilégiée de ces sites d’actualités. Or, d’autres outils sont désormais exploités pour produire un contenu qui attirera un grand nombre d’internautes.

Citons notamment les Doodles. Ils modifient le logo de Google sur sa page d’accueil et mettent à l’honneur des événements ou des dates anniversaires de personnages illustres. Cliquables, ils redirigent vers les résultats de recherche associés au sujet du jour. Les sites d’actualités ont évidemment compris que les nombreux clics que génèrent ces Doodles représentent de véritables leviers de visibilité. Une normalisation de l’information s’opère alors, avec la publication de nombreux articles en rapport avec le Doodle du jour.

Autre outil utile à la visibilité, Google Discover, disponible sur les mobiles et les tablettes, offre à ses utilisateurs de les notifier sur les actualités. Et ce, en fonction de leurs recherches et de leurs goûts. L’internaute ne recherche plus : Google propose. Contrairement à Google Actu, Google Discover est ouvert à tous les sites, du moment qu’ils respectent les conditions édictées par Google

L’internaute ne recherche plus : Google propose
Exemple d’article Fioulmarket proposé par Google Discover

Toutefois, le moteur de recherches impose des règles éditoriales pour pouvoir figurer dans Discover, notamment « un contenu adapté aux centres d’intérêt actuels » – basé sur les tendances de recherches. Même si Google invite à « fournir des informations uniques », ce qui constitue une amélioration, il continue ainsi à pousser les médias à s’intéresser tous aux mêmes sujets. 

Censé proposer des contenus d’actualités pertinents, Google Discover s’avère, de plus, souvent raillé pour ses articles un peu trop faciles, où les rédactions cherchent le clic et la visite avant tout. Ceci, dans le but de gonfler les statistiques d’audience et ainsi valoriser l’espace publicitaire.